À l’occasion de la réédition de l’album « Wave of Arson » et de la sortie du single « Kamikaze » il y a peu, il est grand temps de se pencher sur Electronic Ghost Machine, l’une des voix les plus singulières de la scène électronique indépendante. Ce duo père-fille originaire de Las Vegas, composé de Chris et Grey, cultive un son hybride, à la croisée du drum and bass, de l’électro sombre et d’une énergie live sans concession. Ils reviennent aujourd’hui sur leur approche créative, leurs influences et leur parcours, dans un entretien croisé où chacun éclaire l’univers du groupe à sa manière. Après avoir plongé dans leur univers, vous ne verrez plus jamais la musique comme avant ..

Demona Lauren: Grey, en tant que chanteuse, comment crées-tu cette atmosphère envoûtante dans tes morceaux ? Quelle est ton approche pour donner vie aux paroles et aux émotions ?
Grey : Les paroles sont écrites à deux, avec Chris. On les affine souvent ensemble, mais parfois je pars d’un canevas et je compose au fil de l’inspiration. En production, mes voix sont toujours doublées, et sur certaines chansons, j’ajoute en dessous une piste, comme un écho spectral. La musique, et le chant en particulier, ont toujours été essentiels dans ma vie. Je n’ai aucun souvenir sans musique. Mes chansons sont émotionnelles parce qu’elles sont l’expression de ce que je ressens vraiment. J’ai envie que ma musique laisse une empreinte. Si je peux offrir quelque chose, même minime, à quelqu’un à travers mon art, c’est déjà beaucoup. J’ai le sentiment que cette forme d’art est ma vocation.
Chris, toi tu jongles avec plusieurs instruments dans Electronic Ghost Machine. Comment intègres-tu batterie, guitare et autres éléments tout en gardant la cohérence du son ? Quel est ton secret pour éviter la cacophonie ?
Chris : C’est une bonne question. Je suis avant tout batteur, c’est là que j’ai le plus d’aisance, donc tout part du rythme. Beaucoup de nos morceaux reposent sur des boucles de batterie, de guitare ou de contrebasse enregistrées en live, ce qui rend le tout plus souple et pardonne les limites techniques. Ce qui m’intéresse, c’est de créer une ambiance, une sensation, peu importe l’instrument utilisé. Sur le plan technique, pour éviter la cacophonie, il faut sculpter l’espace sonore pour chaque instrument : par exemple, éviter que le synthé ne vienne masquer la basse ou que la grosse caisse ne recouvre tout. Dans les médiums où la voix de Grey s’exprime, je fais attention à ce qu’aucun autre instrument ne vienne empiéter. La production musicale est un terrain de jeu fascinant, j’apprends sans cesse et j’adore expérimenter.
Fascinant, j’adore ! Votre musique navigue entre drum and bass, trip-hop et bien d’autres genres. Comment décririez-vous l’ADN musical d’Electronic Ghost Machine ? Quelles influences nourrissent cette diversité ?
Chris : Il y a beaucoup de pression pour définir un style, que ce soit pour les playlists, la radio ou le streaming, et on peut être tenté de tout faire entrer dans une case. Mais ça limite la créativité et empêche la magie d’opérer. On crée ce qu’on aime, ce qui nous fait vibrer sur scène, avec beaucoup de basses ! J’espère que le public nous trouvera et que le résultat sera authentique. Grey est mon enfant, bien plus jeune, et a grandi avec tout ce que j’écoutais : des Beatles à Chase & Status. On aime tous les styles à la maison, c’est difficile de résumer, mais on écoute beaucoup Roni Size, les Beatles, Chase & Status, The Prodigy, Twenty One Pilots, Beastie Boys, A Tribe Called Quest…
Grey : Notre son dépend de ce qu’on trouve bon sur l’instant. Il n’est jamais confiné à un style unique, comme notre goût pour l’électro qui est très éclectique. C’est un mélange étrange et alternatif de tout ce qu’on aime, de Chase & Status à Skrillex, Excision, et tant d’autres. L’électro reste mon genre préféré, peu importe la branche.

Ô combien je suis d’accord avec l’idée de pression stylistique. J’y pense .. l’interaction entre vos noms de scène, « Electronic » et « Ghost Machine », intrigue. Comment définiriez-vous ce concept ?
Chris : Beaucoup y voient une référence aux machines utilisées par les chasseurs de fantômes. À l’origine, je pensais plutôt à une machine qui crée, contient ou piège des fantômes… Mais qu’est-ce qu’un fantôme ? Une conscience ? Un esprit ? Quelque chose qui a vécu sous une autre forme ? Est-ce que l’IA deviendra un jour une sorte de fantôme électronique ? J’aime que ce soit assez flou pour que chacun y projette ce qu’il veut. Ça colle aussi à l’idée d’une musique électronique un peu sombre.
Grey : Le contraste entre les fantômes et l’électronique, c’est exactement notre style : étrange, mais cool. La musique est puissante. Pour moi, une « electronic ghost machine », c’est une enceinte. On sent la basse dans la poitrine, on entend les murmures du public… Ce cône vibre, insuffle la vie à la pièce. Nos fantômes, nos êtres, sont réunis artificiellement. Grâce à la machine et aux ondes, on se retrouve tous ensemble, nos fantômes hantent la même maison.
En parlant d’électro, la scène électronique évolue sans cesse. Comment restez-vous innovants et fidèles à votre identité sonore ?
Chris : On ne cherche pas à rester « dans le coup ». Rick Rubin dit que « le public vient en dernier » : il faut d’abord créer pour soi. Si on essaie de deviner ce que les autres attendent, on perd son identité… et on se trompe sûrement. Si on touche des gens, c’est génial, c’est la plus belle récompense. J’adore la musique qui repousse les frontières, avec des sons et des structures atypiques. Mais il y a aussi des conventions qui existent depuis des siècles et qui fonctionnent toujours pour émouvoir. Ce que je veux éviter, c’est la routine créative ou l’imitation de ce qu’on a déjà fait.
Grey : Certains de nos sons ou synthés ont des petits noms, comme le « fart tuba » (le son grave dans Fuse) ou « Agent X » dans Profitability, c’est moi qui les ai baptisés ! Ce sont ces détails qui font qu’on garde une cohérence, peu importe le genre. Il y a des traits fondamentaux dans notre art, et je pense qu’ils tiennent au fait qu’on fait de la musique pour s’exprimer, pas pour rentrer dans un moule.
Le « fart tuba » ? *rires* Quelle est la leçon la plus marquante que vous ayez tirée de votre parcours d’artistes indépendants ? Comment gérez-vous les hauts et les bas ?
Chris : J’ai compris à quel point la musique devait faire partie intégrante de nos vies. Ça a été très guérisseur pour notre famille, on a traversé des épreuves, et ce cheminement nous aide tous. Pour les hauts et les bas, je n’écoute que le positif. Si quelqu’un n’aime pas, c’est OK : il y a plein de musiques que j’adore et que d’autres détestent. Pourquoi ce serait différent pour la nôtre ? Attention aussi au piège du retour positif : si un titre marche, on peut vouloir le reproduire, mais ça mène à l’inauthenticité. J’ai passé des années sans créer, il me suffit d’y repenser pour savoir qu’on est sur la bonne voie.
Grey : Cette aventure musicale m’a transformée. Je suis du genre à ne pas oser regarder un inconnu dans les yeux ou à demander « sans cornichons ». Les concerts, la promo, tout ça m’a appris à exister. La musique m’a libérée, elle rend tout plus facile, plus fun. Sur scène je peux porter un masque et être aussi courageuse que je veux, c’est ce qui compte le plus pour moi.

Si vous pouviez collaborer avec n’importe quel artiste, vivant ou disparu, quel serait votre morceau rêvé ?
Chris : Si je peux choisir n’importe qui, je dirais Jimi Hendrix. Il était en avance sur son temps. Écoutez « 3rd Stone from the Sun » ou ses sons expérimentaux, comparez-les à ce qui se faisait alors… J’adorerais voir ce qu’il ferait avec la technologie actuelle.
Grey : J’adorerais collaborer avec twenty one pilots. Leur musique est à la fois étrange et simple, elle traverse plein de genres comme la nôtre. C’était mon groupe préféré ado, et ça l’est encore aujourd’hui. Je suis sûre que le chanteur pourrait écrire des mélodies qui conviendraient à ma voix, et Chris avec leur batteur, ça donnerait des rythmes hyper complexes. Une chose est sûre : Chris peut tout jouer à la batterie !
Et le moment le plus marquant de votre carrière jusqu’à présent ? Un souvenir, une performance, une rencontre ?
Chris : Je pense à l’enregistrement de « I am the Sea » ou « Wave of Arson » avec Grey. C’était quelque chose ! Et puis il y a eu un de nos premiers concerts devant un public qui ne nous connaissait pas du tout, mais qui a accroché à fond. Je croyais qu’on était trop bizarres pour la plupart des gens, mais cette soirée m’a fait changer d’avis. Tout le monde était à fond, c’était génial !
Grey : Dans l’ensemble, la musique et la scène ont changé ma vie. J’ai trouvé ma place. Regarder le public danser avec moi, c’est incomparable.
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