Réalisatrice et scénariste talentueuse, Kim Damin s’est imposée comme une voix singulière du cinéma contemporain sud-coréen. À travers ses courts-métrages poétiques comme Surface ou Ungbi et ses amis non-humains, son long-métrage remarqué FAQ, ou encore son adaptation de la série A Killer Paradox pour Netflix, elle explore des thèmes universels tels que l’enfance, l’imaginaire et l’interaction entre l’individu et son environnement.
C’est dans le cadre du Festival du Film Coréen à Paris, où la section “Portrait” lui était dédiée ainsi qu’à ses œuvres, que j’ai eu la chance de rencontrer Kim Damin. Ce moment privilégié a permis d’en apprendre davantage sur son processus créatif, les défis qu’elle rencontre dans son travail et ses aspirations pour l’avenir.
Dans cette interview exclusive, Kim Damin revient sur son parcours artistique, partage les coulisses de ses projets marquants et évoque avec passion son désir d’explorer de nouveaux horizons, de l’animation au documentaire. Avec une approche unique mêlant observation anthropologique et réflexion cinématographique, elle nous invite à redécouvrir la magie cachée dans les détails du quotidien.
Marie-Line El Haddad : Les thèmes de l’enfance et de l’imaginaire sont récurrents dans votre filmographie, notamment avec FAQ et Ungbi et ses amis non-humains. Quels défis avez-vous rencontrés en les abordant, et comment avez-vous voulu que le public interprète ces thèmes ?
Kim Damin : En réalité, ma source d’inspiration provient davantage de la manière dont j’essaie de voir les choses autour de nous sous un angle différent. Ce n’est pas une approche radicalement nouvelle : cela peut être un simple chat à la maison ou les objets qui nous entourent dans notre quotidien. Mon objectif est de trouver une nouvelle perspective pour aborder ces éléments familiers.
MLEH : Pour FAQ, comment avez-vous conçu l’univers visuel et l’ambiance du film pour refléter ces idées ?
KD : Par exemple, avec Dong-Chun, qui est vraiment au centre du récit, j’ai cherché à imaginer des façons de traduire ses pensées et ses perceptions. Une scène notable est celle du concours d’éloquence en persan : je voulais montrer que, bien qu’il s’agisse d’un grand succès pour elle, cela reste quelque chose d’étrange, presque surréaliste. Je voulais que cette ambiguïté soit ressentie par le spectateur.
Comme l’histoire suit une jeune fille dans une ville, je ne voulais pas créer un environnement froid ou figé, ni souligner une ultra-compétition chez les enfants. Je voulais insuffler de la vie, quelque chose de plus frais et dynamique. Mon intention n’était pas de formuler une critique trop sévère, mais plutôt de donner une vitalité à chaque élément, de les rendre vivants.
MLEH : Concernant vos courts-métrages, le format court permet une narration condensée mais intense. Comment décidez-vous des éléments essentiels à intégrer dans un court-métrage comme Surface pour marquer le public en peu de temps ?
KD : Avec Surface, je voulais représenter une ville fantôme, l’espace étant le thème principal. J’ai choisi d’éviter de multiplier les coupes, privilégiant des plans continus pour donner l’impression d’un fantôme errant dans cet environnement. Je pense que le format court-métrage était idéal pour cela, car il m’a permis d’explorer cette idée de manière concise.
De plus, j’ai eu la chance de tourner à un moment précis : auparavant, la ville était complètement déserte, mais elle est aujourd’hui pleine de vie et de gens. Ce que montre le court-métrage est donc une réalité disparue à jamais.
MLEH : Vous avez écrit une série, A Killer Paradox, adaptée d’un webtoon. Comment avez-vous ajusté votre style d’écriture pour la télévision, notamment pour un public international sur Netflix ?
KD : Le webtoon original a été créé il y a une dizaine d’années, donc ses personnages reflétaient une génération différente. Pour l’adaptation, l’un de mes premiers objectifs a été de transposer ces personnages dans notre époque. Le protagoniste, par exemple, est dans la vingtaine et vit des situations contemporaines, avec des problématiques qui résonnent aujourd’hui. Cela m’a permis de rendre l’histoire moins conceptuelle et plus ancrée dans la réalité.
Concernant le public international, j’ai travaillé pour rendre l’histoire plus politiquement correcte. Le webtoon d’origine avait des aspects un peu machistes que j’ai cherché à atténuer autant que possible. Cependant, le réalisateur a également une influence sur le produit final, et tout ce que j’ai écrit sur papier n’a pas été complètement retranscrit à l’écran. Cela dit, mon intention était de moderniser et d’actualiser le récit, tout en restant fidèle à mon style.

MLEH : Vous travaillez à la fois comme réalisatrice et scénariste. Comment ces deux rôles influencent-ils votre processus créatif ?
KD : Pour FAQ, où j’étais réalisatrice, le budget limité m’a obligée à épurer le scénario, ne gardant que l’essentiel. En revanche, pour A Killer Paradox, j’ai bénéficié d’une plus grande liberté, sans contraintes budgétaires. Cela dit, je ne pouvais pas imposer mon style de réalisation à la série. Ces deux expériences ont été très complémentaires : ce que je ne pouvais faire dans l’un, je l’exprimais dans l’autre, et vice versa.
MLEH : Le public coréen et international réagit-il différemment à vos œuvres ? Comment l’accueil de vos œuvres à l’étranger influence-t-il votre travail ?
KD : Honnêtement, je m’attendais à des différences importantes, car FAQ contient de nombreux éléments culturels spécifiques à la Corée. Cependant, j’ai été surprise de constater que les réactions étaient globalement similaires. Cela montre que, malgré ces particularités culturelles, le film offre une expérience cinématographique universelle. Le public étranger semble l’accepter de manière assez naturelle.
MLEH : Comment voyez-vous l’évolution de votre style et de vos thèmes au fil des années ? Y a-t-il de nouveaux sujets ou genres que vous aimeriez explorer à l’avenir ?
KD : Avec Surface, Ungbi et ses amis non-humains et FAQ, j’ai commencé à identifier ce qui m’intéresse vraiment, ce qui me stimule le plus en tant que créatrice. Ces expériences m’ont permis de grandir et de mieux m’exprimer à travers mon travail. À l’avenir, j’aimerais relever de nouveaux défis et explorer des idées différentes.
MLEH : Vous avez travaillé sur différents formats (longs-métrages, courts-métrages, séries). Y a-t-il d’autres formes narratives, comme le documentaire ou l’animation, que vous aimeriez explorer ?
KD : Absolument. J’ai un grand intérêt pour les documentaires et je suis une grande admiratrice des films d’animation. Pour l’instant, je me concentre sur ce que je maîtrise, mais j’aimerais poursuivre des études en anthropologie, ce qui pourrait m’ouvrir des portes vers le documentaire. Quant à l’animation, cela reste dans un coin de ma tête. J’envisage même d’écrire un roman pour développer une idée de film d’animation.
MLEH : Comment vos études ont-elles influencé votre processus, votre vision des choses et vos films ?
KD : Mes études ont eu une influence considérable. Elles m’ont appris à porter un regard profond sur des détails qui pourraient sembler insignifiants. J’ai développé un sens aigu de l’observation et une méthode d’investigation, notamment à travers des interviews. Ce travail de terrain, que j’ai appris à l’université, me sert encore aujourd’hui pour mes films.
