Pour son premier long-métrage, Hiver à Sokcho, le réalisateur franco-japonais Koya Kamura plonge dans l’univers délicat et intimiste du roman d’Elisa Shua Dusapin. Inspiré par cette histoire de quête d’identité, de liens manqués, et de solitudes partagées, il livre une œuvre visuellement envoûtante, portée par une atmosphère hivernale singulière. Dans cette interview, Koya Kamura revient sur la genèse du projet, son lien personnel avec les thématiques du film, et les défis d’un tournage en Corée. Entre sensorialité et réflexion, il nous dévoile les secrets de fabrication d’un film qui résonne profondément avec son propre parcours. Un magnifique film à retrouver dès le 8 janvier 2025 au cinéma partout en France !
Marie-Line El Haddad : Hiver à Sokcho est votre premier long-métrage. Pouvez-vous nous parler de la genèse du projet et de ce qui vous a inspiré à adapter le roman d’Elisa Shua Dusapin ?
Koya Kamura : C’est vraiment la lecture du roman qui a déclenché chez moi une envie quasi immédiate de le porter à l’écran. À l’époque, je travaillais sur un autre projet, situé au Japon, qui parlait d’un homme abandonnant sa famille, mais je rencontrais des difficultés à avancer. Puis, je suis tombé sur Hiver à Sokcho, une histoire qui parle d’une jeune femme qui n’a jamais connu son père, ce dernier l’ayant abandonnée avant sa naissance. Cela m’a frappé comme une sorte de « contrechamp » de ce que j’essayais de raconter, et une connexion profonde s’est immédiatement créée avec l’histoire et le personnage.
Le fait que le personnage principal soit franco-coréen, tout comme l’autrice, et que moi-même je sois franco-japonais, a renforcé ce lien. La thématique de l’identité, de ce qui nous façonne, résonnait particulièrement en moi.
Quant à la forme, Sokcho est une petite ville balnéaire qui devient presque désertique en hiver. Cette atmosphère m’a immédiatement séduit. J’ai toujours été attiré par ces lieux figés dans le temps, vidés de leur population, comme dans mon court-métrage Homesick que j’avais tourné à Fukushima. Dès ma première lecture du roman, des images très précises me venaient à l’esprit. C’est cette alchimie entre le fond et la forme qui m’a poussé à adapter cette œuvre.
MLEH : Les personnages d’Hiver à Sokcho semblent constamment en quête de quelque chose : un sens, une identité, ou un lien avec autrui. Comment avez-vous abordé ces thématiques universelles ?
KK : Ces thématiques sont effectivement très universelles. J’ai coécrit le scénario avec Stéphane Ly-Cuong, un réalisateur d’origine vietnamienne dont les œuvres explorent souvent les liens entre la première génération immigrée et leurs enfants nés en France. De mon côté, mon père est japonais et est venu en France à 29 ans. Je me suis construit ici, mais toujours avec cette « back-culture » japonaise en arrière-plan. Ces questions d’identité et de filiation nous étaient donc communes et ont nourri l’écriture.
J’ai aussi investi beaucoup d’éléments personnels dans ce projet, tout comme Stéphane. Belle Kim, qui incarne le rôle principal, a également apporté une touche très personnelle à son interprétation. Cela a créé une osmose dans laquelle chacun de nous a mis un peu de soi à chaque étape du processus.
MLEH : Avez-vous collaboré étroitement avec Elisa Shua Dusapin durant l’adaptation, et si oui, comment cela s’est-il passé ?
KK : Pas vraiment. Lorsque j’ai lu le roman et que mon producteur et moi avons décidé de l’adapter, j’ai rencontré Elisa pour partager ma vision du film et voir si elle était alignée avec la sienne. Cette rencontre a été un vrai coup de cœur : nous avons découvert de nombreuses similitudes dans nos parcours et nos interrogations personnelles. Je pense que je l’ai rassurée sur ma manière d’aborder son œuvre, car ma vision allait dans le sens de ce qu’elle imaginait.
Je lui ai proposé de participer à l’écriture, mais elle a préféré me laisser m’approprier son roman. Elle avait déjà été très impliquée dans une adaptation théâtrale de l’œuvre et souhaitait cette fois prendre du recul. Nous lui avons fait lire le scénario quelques mois avant le tournage, et elle en était ravie. Elle est même venue sur le plateau. Finalement, tout s’est fait de manière fluide, même si j’avais toujours cette appréhension de trahir son univers.
MLEH : Le contraste entre la froideur de l’hiver, le paysage côtier, et la chaleur des interactions humaines est frappant. Comment avez-vous travaillé cette ambiance dans votre mise en scène ?
Le roman dégageait une dimension très organique et sensorielle, et je voulais absolument retranscrire cela à l’écran. Je voulais que le spectateur ressente la moiteur des chauffages, la condensation sur les bâches des restaurants, les odeurs, les sons des vendeurs de rue, ou encore la buée qui sort des bouches lorsqu’on parle.
Avec la cheffe opératrice Élodie Tahtane, nous avons longuement discuté de cet aspect. En nous rendant sur place en Corée, nous avons cherché à capter ces sensations pour les intégrer au mieux à l’image et recréer cette atmosphère si particulière.

MLEH : La relation entre la protagoniste et le dessinateur français est complexe et ambiguë. Comment avez-vous dirigé vos acteurs pour faire ressortir cette tension, surtout avec une actrice débutante et un acteur chevronné comme Roschdy Zem ?
KK : C’était effectivement un grand écart en termes d’expérience, mais très enrichissant. Avec Bella, nous avons beaucoup travaillé en amont avec un coach. Nous avons exploré les nuances de son personnage et les dynamiques de cette relation ambiguë, marquée par une forme de confusion intérieure.
Avec Roschdy, nous avons également échangé sur l’importance d’une relation strictement platonique. Sans spoiler la fin, il s’agissait de montrer que l’attirance venait surtout d’elle, tandis que lui prenait ses distances dès qu’il s’en rendait compte. Une fois ce cadre établi, les deux comédiens ont proposé des choses magnifiques, et mon rôle était de choisir entre quelque chose de très bien et quelque chose d’excellent !
MLEH : Votre double culture franco-japonaise a-t-elle influencé votre manière de filmer cette histoire coréenne ?
KK : Pas de manière consciente, mais je pense que mes origines ont influencé mon approche, ne serait-ce que parce que j’aime beaucoup le cinéma asiatique, notamment japonais et coréen. Cependant, mes influences restent aussi très anglo-saxonnes et nord-américaines.
Une référence majeure pour ce film a été Maborosi de Kore-eda, un film qui se déroule dans une petite ville portuaire japonaise en hiver. Cette atmosphère était en arrière-plan de mes pensées tout au long du tournage. Travailler avec une équipe coréenne m’a aussi poussé à confronter cette vision à une réalité locale, ce qui a enrichi le film.
MLEH : Quels ont été les défis principaux lors du tournage en Corée, notamment en termes de langue, de culture, ou de climat ?
KK : Le tournage a débuté sous -14°C, donc on était dans l’ambiance ! (Rires) Bien sûr, tourner dans une langue étrangère comporte toujours des défis. Heureusement, notre producteur coréen Yoon-Seok Nam, qui parle parfaitement français, a été un excellent intermédiaire. Bella, qui vit aussi en France, jouait également ce rôle de pont entre les cultures.
Les équipes française et coréenne ont mis quelques jours à s’accorder sur les méthodes de travail, mais tout s’est fait dans un esprit constructif. Finalement, malgré les différences culturelles, tout s’est passé de manière très naturelle.
MLEH : Quel message principal souhaitez-vous transmettre avec Hiver à Sokcho ?
KK : Le cœur du film, pour moi, est l’acceptation de soi. Su-Ah est un personnage qui vit avec un manque, mais la résolution ne vient pas de combler ce vide, mais d’apprendre à vivre avec et de l’accepter. En parallèle, il y a aussi une réflexion sur la communication : comment ces interrogations intérieures peuvent nous pousser à établir un dialogue plus profond avec notre entourage.
MLEH : Le film a déjà été présenté dans de nombreux festivals. Quelle a été la réaction du public, et certains retours vous ont-ils particulièrement marqué ?
KK : À Toronto et à San Sebastian, j’ai été surpris par les réactions du public. Je pensais avoir réalisé un film d’auteur, mais les spectateurs réagissaient très spontanément : ils riaient aux moments légers et étaient très tendus lors des scènes plus graves. C’était gratifiant de voir cette connexion si forte.
Après les projections, beaucoup de spectateurs nous remerciaient, parfois très émus. J’ai eu l’impression que certains se sentaient compris ou touchés par les thématiques abordées, notamment la relation mère-fille, qui a semblé résonner chez de nombreuses personnes.
Le Festival du Film Coréen à Paris c’est fini pour 2024 ! Mais le festival revient l’année prochaine pour célébrer sa 20ème édition! Suivez toute l’actualité du FFCP sur le site web ou leurs réseaux sociaux.
