Interview réalisée par Marie-Line El Haddad
Et si un bijou pouvait vous faire ressentir l’espace comme un bâtiment ? C’est le pari audacieux de suisuee, une marque fondée par une ancienne architecte devenue créatrice de bijoux. À travers une fusion inédite entre design computationnel, impression 3D et formes organiques, elle transforme le corps en terrain de jeu architectural. Rencontre avec une visionnaire qui ne décore pas, mais bâtit l’intime.

Pouvez-vous présenter votre marque en quelques mots ? Quand a-t-elle été créée et quelle est sa philosophie centrale ?
suisuee transforme la pensée architecturale en art à porter. Créée en 2020, la marque est née de mon parcours, de l’architecture à la joaillerie — une transition qui ressemblait moins à un changement de carrière qu’à un changement d’échelle. Notre philosophie est simple mais révolutionnaire : le corps mérite aussi des bâtiments.
Chaque pièce commence comme un concept spatial, et non comme un simple accessoire. Nous utilisons les mêmes approches de design computationnel que j’appliquais autrefois aux bâtiments, puis nous donnons vie à ces géométries impossibles grâce à l’impression 3D. Le résultat : des bijoux qui se comportent comme des architectures — réagissant à la lumière, jouant avec les ombres, se métamorphosant avec le mouvement.
Au cœur de suisuee, il y a cette célébration du dialogue entre la structure et le corps. Nous ne cherchons pas à décorer, mais à créer des expériences architecturales intimes qui voyagent avec vous.
Quel a été le plus grand défi dans la construction de votre marque, et comment l’avez-vous surmonté ?
Mon plus grand défi a été de trouver une forme organique, sans direction définie, mais qui reste portable et accessible à un plus large public. Je trouve beaucoup d’inspiration en visitant des musées, en lisant des magazines de design et en observant la nature au quotidien.
Cette quête a transformé ma manière de concevoir. L’architecture parle à travers l’espace ; le bijou doit murmurer contre la peau.
Un autre grand défi a été de traduire la précision de la pensée architecturale dans l’intimité du bijou, sans perdre l’émotion. J’ai surmonté cela en faisant de mon regard extérieur ma plus grande force. Les techniques que j’ai apportées de l’architecture — design computationnel, pensée spatiale, innovation structurelle — sont devenues la signature de suisuee.
Ce qui m’apporte le plus de satisfaction, c’est de voir les gens découvrir que lorsqu’ils portent nos pièces, ils ne portent pas seulement des bijoux — ils vivent une architecture, dans sa forme la plus personnelle.

Où trouvez-vous l’inspiration pour vos créations ? Pouvez-vous nous décrire votre processus créatif ?
Mon inspiration naît de ce dialogue entre l’art, l’architecture et la nature. Ma première collection a en fait commencé avec une découverte sur Pinterest – une magnifique sculpture en bois de l’artiste américain Kerry Vesper. J’ai tout de suite été fascinée par sa forme, et j’ai voulu la transformer en bijou. Je l’ai réinterprétée à travers un prisme architectural futuriste, influencée par l’esthétique fluide et audacieuse de Zaha Hadid.
Pour ma collection *Hon*, l’inspiration est venue d’un voyage au Cambodge, où j’ai découvert les anciens figuiers Banyans. Ces structures vivantes millénaires résonnaient profondément avec mon parcours multiculturel — mes racines coréennes, ma formation italienne et ma vie professionnelle en Allemagne. Leur façon de s’entrelacer et de se soutenir mutuellement est devenue une métaphore parfaite de la manière dont mes expériences diverses ont façonné ma philosophie du design.
Mon processus commence toujours par un moment d’inspiration — qu’il vienne de l’art, de l’architecture ou de la nature — puis se poursuit par des croquis explorant comment ces formes peuvent dialoguer avec le corps. Je les traduis ensuite en modèles 3D, où je peux manipuler structure, volume et proportion avec une précision architecturale. Le design évolue à travers d’innombrables itérations numériques jusqu’à atteindre l’équilibre parfait entre audace et confort.
Ma collection la plus récente s’inspire de la beauté simple et profonde des feuilles en germination et des fèves d’edamame — des formes naturelles symbolisant la croissance et le potentiel. Je suis fascinée par la manière dont les structures organiques peuvent être repensées à travers un prisme architectural pour donner naissance à des pièces à la fois ancestrales et futuristes.
Enfin, l’impression 3D permet de matérialiser ces géométries complexes, impossibles à réaliser avec la joaillerie traditionnelle. Chaque pièce est ensuite finie à la main — ce mariage entre innovation technologique et artisanat est au cœur de l’identité suisuee.

Comment équilibrez-vous esthétique et fonctionnalité dans vos pièces ?
Je cherche toujours la simplicité. Mon credo est “less is more” – une phrase célèbre de l’architecte Mies Van der Rohe. Ce principe architectural est devenu fondamental dans la philosophie de suisuee.
Même si les concepts sont complexes, l’expression finale est toujours épurée jusqu’à l’essentiel. Chaque pièce est marquée par une retenue volontaire – je retire tout ce qui est superflu jusqu’à atteindre un équilibre parfait entre impact visuel et portabilité.
Ce qui rend notre approche unique, c’est la manière dont nous tordons ces formes minimales pour en faire des courbes douces et organiques. Cette transformation subtile rend les pièces à la fois chics et élégantes. Leur fluidité garantit que, malgré leurs origines architecturales, elles épousent le corps avec naturel.
Cet équilibre vient d’une compréhension essentielle : contrairement aux bâtiments, les bijoux sont en mouvement constant. Une pièce peut sembler magnifique en vitrine, mais son véritable test est de savoir comment elle se comporte sur la peau. Complète-t-elle les mouvements du corps ? Peut-elle passer du jour à la nuit sans heurt ? Ces questions guident autant notre processus de création que les considérations esthétiques.
Le résultat, ce sont des bijoux à la fois affirmés et légers – des pièces qui mettent en valeur sans dominer, aussi agréables à porter qu’impressionnantes à regarder.
Pensez-vous que la technologie (comme l’IA ou la mode virtuelle) influencera le futur de votre marque ?
Énormément. Je conçois avec des logiciels de design computationnel et je teste moi-même les prototypes en impression 3D, jusqu’à trouver la forme et la taille idéales pour chaque personne. La technologie n’est pas juste un outil – elle est tissée dans l’ADN de suisuee.
Ce qui m’enthousiasme, c’est que ces outils nous permettent de repousser des limites autrefois impensables dans la joaillerie traditionnelle. Les logiciels que j’utilise – conçus à l’origine pour des projets architecturaux – me permettent d’explorer des milliers de variations avant de trouver la forme parfaite. C’est comme avoir un studio numérique où la gravité n’existe pas.
Dernièrement, j’ai commencé à utiliser l’IA comme partenaire créatif. Je l’utilise pour développer du contenu, voire un livre de recettes inspiré de mes bijoux. C’est fascinant de voir comment l’IA peut exprimer ma philosophie du design à travers d’autres médiums, créant un univers de marque cohérent qui va au-delà des objets physiques.
Je pense que nous ne faisons qu’effleurer le potentiel. Avec l’évolution de la mode virtuelle, j’imagine suisuee créant des pièces qui existent à la fois physiquement et numériquement — peut-être des bijoux qui se transforment dans des espaces virtuels ou qui s’adaptent à des environnements digitaux comme aucun matériau physique ne le pourrait.
Mais ce qui reste immuable, c’est la touche humaine. La technologie est mon outil, pas mon maître. Chaque pièce reflète encore ma vision architecturale et mon esthétique personnelle, simplement réalisée avec une précision et une liberté nouvelles. L’avenir de suisuee réside dans cette danse entre la créativité humaine et l’innovation technologique.
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