Keung To x KENZO Series (5/5) : Ce que Nous Enseigne Keung To x KENZO

En retraçant les parcours croisés de Keung To et de KENZO, on perçoit toute la résonance qui unit trajectoire individuelle et philosophie de maison – une résonance qui dépasse largement le simple univers de la mode. Ensemble, ils incarnent un esprit de fusion culturelle et le courage de défier les normes héritées, questionnant des frontières longtemps perçues comme immuables. L’ascension de Keung To, marquée par son refus de se conformer et son engagement pour l’authenticité, fait écho à l’héritage de KENZO, maison qui a toujours célébré la beauté née de l’hybridité.

Leur partenariat témoigne des possibles créatifs qui émergent lorsque la différence n’est pas seulement tolérée, mais pleinement embrassée et valorisée. Aujourd’hui, les identités sont de plus en plus mouvantes et les cultures en constante intersection, Keung To x KENZO peut alors se permettre un nouvel élan – celui où s’autodéfinir n’est plus un interdit, mais une force et une source créative.

Dans cette perspective, Keung To incarne ce que l’on pourrait appeler une “anti-star”, sans jamais tomber dans les travers de l’anti-héros – bien au contraire. Là où l’anti-héros se définit par sa distance, voire son opposition, aux attributs classiques du héros, Keung To s’éloigne de l’archétype de la star sans pour autant renoncer à l’aura ou à la légitimité qui la caractérisent. Lorsqu’on l’observe en société, aux côtés d’autres célébrités, il ne répond à aucun des codes attendus : ni ostentation, ni surenchère, ni quête effrénée de reconnaissance. Vous êtes-vous déjà demandé comment il faisait pour exercer pourtant autant d’influence ? Son magnétisme opère, et son statut ne fait aucun doute. Des qualités qui ont d’ailleurs alimenté l’envie de la maison KENZO de l’intégrer dans son univers.

Ce paradoxe nourrit aussi une réflexion sur la nature même de la célébrité contemporaine : faut-il absolument correspondre à un moule pour exister dans l’imaginaire collectif ? Ou n’est-ce pas précisément dans l’écart, dans l’altérité, que se loge la véritable puissance d’influence ? Il n’existe pas de réponse définitive, car cela dépend de qui il s’agit.

Pour sa part, Keung To ne redéfinit pas tant la notion de star qu’il en propose une déclinaison radicalement différente, où l’humilité et la normalité prennent le pas sur la spectacularisation de soi. Il devient, pour ainsi dire, une “célébrité ordinaire” : non pas ordinaire par défaut, mais extra-ordinairement fidèle à sa propre trajectoire, à ses propres choix, à ses aspirations. Ce refus de l’artifice, loin de l’amoindrir, renforce au contraire son impact : il ne s’agit pas d’un anti-héros, car il incarne bien le courage, la persévérance et la capacité à se remettre en question – des vertus héroïques. Mais le lien classique entre artiste, célébrité et star, lui, s’efface, laissant place à une figure hybride, qui préfère être simplement lui-même et s’entourer d’un public qui partage cette même quête d’authenticité.

Ce que révèle le cas d’étude Keung To x KENZO, c’est que les créations les plus marquantes, qu’elles soient stylistiques ou identitaires, émergent rarement de la conformité aux modèles existants.

Ce constat prend une résonance particulière dans le cas de KENZO, dont la trajectoire contemporaine illustre à merveille les paradoxes de la notion de « public cible » dans l’industrie du luxe. Sous la direction artistique de Nigo, la maison, propriété du groupe LVMH, semble parfois en porte-à-faux face aux attentes du marché : d’un côté, un héritage puissant, forgé par Kenzo Takada autour d’un métissage esthétique entre Paris et Tokyo, un aplomb graphique et une liberté de mouvement ; avec un touche de vision plus urbaine, streetwear, qui a séduit une clientèle jeune mais laisse aujourd’hui certains observateurs perplexes quant à la cohérence de l’ensemble. La question du public cible revient alors avec insistance : à qui s’adressent ces collections ? Mais n’est-ce pas là une interrogation devenue obsolète ? Dans un paysage où la mode tend à compartimenter les identités stylistiques en deux ou trois archétypes dominants, il devient presque subversif de refuser l’assignation à une catégorie. Plutôt que de forcer la rencontre avec un public prédéfini, KENZO – à l’instar de Keung To – pourrait miser sur l’alchimie naturelle, sur la capacité de la marque et de l’artiste à attirer, par leur singularité même, un public qui ne se reconnaît dans aucune case préexistante. Après tout, l’histoire de la mode regorge d’exemples où la rencontre entre une vision singulière et une audience inattendue a donné naissance à des mouvements durables. Peut-être que la vraie question n’est pas de savoir s’il faut cibler, mais de savoir oser exister pleinement, quitte à laisser le public venir à soi, et non l’inverse. Un modèle parfaitement illustré, voire exalté par l’artiste Hongkongais lui-même.

Peut-être que Keung To ne sera jamais tout à fait “typique” : ni artiste-célébrité hongkongaise au sens classique, ni idole asiatique formatée, ni même star globale telle qu’on l’entend habituellement avec ses excès, ses scandales et ses travers qui amusent souvent l’opinion publique. Mais c’est précisément cette singularité, cette impossibilité à le réduire à une catégorie préexistante, qui fait de lui une figure d’influence majeure auprès de ceux qui comprennent son discours. Plutôt que de s’effacer dans une case, il en invente une nouvelle : il devient, en somme, le designer de sa propre personne, et invite chacun à faire de même.

Sur ce, je vous souhaite une très belle Fashion Week de Paris !

Contenu médiatique & recherches : Demona Lauren
Photographie : Xue X. (KT, Paris Fashion Week 25, KENZO), Demona Lauren Team