Interview réalisée par Marie-Line El Haddad
Pil Gam-sung revient sur l’adaptation du webtoon culte et dévoile les enjeux artistiques d’un film qui réinvente le cinéma de zombies par l’émotion et la fantaisie.
Projeté en ouverture du Festival du Film Coréen à Paris, le 28 octobre 2025, My Daughter is a Zombie a immédiatement conquis le public par son mélange inattendu de comédie, d’horreur et de drame familial. Avec une sensibilité rare, le réalisateur Pil Gam-sung transforme l’histoire d’une adolescente devenue zombie en un conte moderne, lumineux et profondément humain. Dans cet entretien, il revient sur les origines du projet, son approche visuelle singulière et les défis de faire cohabiter rire et émotion au cœur d’un même film.

Marie-Line El Haddad : My Daughter is a Zombie est votre deuxième long métrage, adapté d’un webtoon déjà connu et même décliné en animation. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet et pourquoi vouloir l’amener au cinéma ?
Pil Gam-Sung : Lorsque j’ai reçu la proposition d’adapter ce webtoon, deux aspects m’ont vraiment marqué. Le premier, c’est la question que l’œuvre pose : si la personne que j’aime le plus devenait un zombie, quel choix serais-je capable de faire ? Ce dilemme m’a profondément touché, d’autant plus que je suis père d’une adolescente. Le second point, c’est le ton de l’histoire. Le sujet est triste, une fille qui devient zombie, mais il est traité avec humour et légèreté. J’ai immédiatement été séduit par cette manière d’aborder un thème douloureux de façon plus joyeuse. En Corée, il n’existe pas beaucoup de films qui mélangent un sujet aussi triste avec une tonalité aussi plaisante, et je me suis dit que ce serait un défi intéressant. C’est pour ces deux raisons que j’ai voulu faire ce film, et que j’ai trouvé le projet vraiment attirant.
MLEH : Le film mélange comédie, horreur et émotion familiale. Comment avez-vous trouvé le bon ton pour faire coexister ces éléments ?
Pil Gam-Sung : C’était la partie la plus difficile, mais aussi celle qui pouvait donner le plus de sens au film si elle était réussie. Je me répétais sans cesse : “faire rire, faire pleurer, puis refaire rire”. C’était mon intention permanente, et j’en ai beaucoup parlé avec les acteurs, en faisant de nombreuses répétitions. Mais ce qui était le plus important pour moi, c’était le réalisme. Je ne voulais pas que l’humour vienne casser l’authenticité des situations, ni que l’horreur devienne artificielle. Si une scène devient simplement “amusante pour être amusante”, ou “effrayante pour être effrayante”, alors on perd la sincérité de l’histoire. Ce qui permet vraiment à ces genres différents de tenir ensemble, c’est la crédibilité des situations. Le réalisme relie toutes les parties du film.
MLEH : Visuellement, le film est très coloré, presque lumineux, à mille lieues des codes sombres habituels des films de zombies. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Pil Gam-Sung : Même si le titre évoque un film de zombies, je ne voulais pas que le film ressemble aux autres œuvres du genre. Je ne voulais pas en reprendre les clichés. Dès ma première rencontre avec le directeur artistique et le chef opérateur, je leur ai dit que je voulais que le film donne l’impression de tourner les pages d’un livre de contes. Je voulais vraiment quelque chose comme : “Il était une fois, dans un village en bord de mer, vivait une petite zombie…”. Pour cela, je me suis beaucoup référé à l’œuvre d’Anthony Browne, un auteur britannique que j’aime énormément. Ses illustrations sont réalistes mais très colorées, et c’est ce contraste que je voulais retrouver dans le film : un univers vivant, presque enfantin, malgré un sujet triste.
MLEH : Le film a rencontré un grand succès au box-office coréen. Comment avez-vous vécu cette réception, et cela a-t-il changé votre vision de ce que le public attend aujourd’hui ?
Pil Gam-Sung : Pour moi, ce succès a été presque miraculeux, et j’en suis extrêmement reconnaissant. Lorsque j’ai commencé ce projet, c’était pendant la période du Covid. Je me disais que, lorsque la pandémie serait terminée, j’aimerais que les spectateurs puissent regarder le film et ressentir un peu de réconfort après cette période difficile. Je ne saurai jamais exactement ce que le public pense, mais j’espère qu’en riant, en s’émouvant et en passant un bon moment, certains ont pu se sentir un peu apaisés. Un autre élément m’a beaucoup touché : de nombreuses familles sont venues ensemble au cinéma, et beaucoup m’ont dit que cela faisait longtemps qu’elles n’avaient pas partagé une séance collective. Ce retour m’a vraiment marqué. Cela signifie peut-être que le film a permis de créer ou de retrouver un moment familial.

MLEH : Vous avez tourné plusieurs courts métrages avant votre premier long en 2021. Quel a été le plus grand défi dans cette transition ?
Pil Gam-Sung : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le plus difficile n’a pas été le passage technique du court au long métrage. Le vrai défi, c’était la longueur de la période de transition. Pendant des années, j’ai préparé plusieurs projets qui n’ont jamais abouti. Cette accumulation d’essais qui échouent est difficile à vivre. Ce n’était pas faire un long métrage qui était difficile en soi, mais la durée pendant laquelle je tentais d’en faire un sans y parvenir. Cette période était longue et parfois décourageante.
MLEH : Votre premier long métrage, Hostage: Missing Celebrity, est un thriller très tendu. Qu’avez-vous retenu de cette expérience pour My Daughter is a Zombie ?
Pil Gam-Sung : On me pose souvent la question, car les deux films appartiennent à des genres très différents. Pourtant, certains spectateurs m’ont dit qu’ils retrouvaient ma “patte” dans les scènes d’horreur ou dans le passage plus proche du thriller à la fin du film. Entre les deux projets, j’ai aussi réalisé une série de suspense, et cette expérience m’a beaucoup aidé : elle m’a permis de mieux comprendre comment gérer la tension, le rythme, les enchaînements dramatiques. Et puis My Daughter is a Zombie m’a offert quelque chose que je voulais faire depuis longtemps : une comédie et un film familial. C’est grâce à ce projet que j’ai enfin pu essayer ce mélange.
MLEH : Malgré la diversité des genres que vous explorez, existe-t-il un fil conducteur dans votre cinéma ?
Pil Gam-Sung : Oui : la recherche du réalisme, quel que soit le genre. Que ce soit de l’horreur, de la comédie ou un drame familial, je dis toujours aux acteurs : “Ne pensez pas au genre. Pensez à la situation réelle.” Je ne veux pas qu’ils jouent “comme dans un film d’horreur” ou “comme dans une comédie”. Même dans des histoires extrêmes, je veux que les réactions restent crédibles. Je pense que ce juste milieu, rester réaliste dans des situations parfois très exagérées, est ce qui caractérise le mieux mon travail.
Un grand merci aux équipes du FFCP et en particulier à Cédric Callier pour l’organisation de cette interview!
Depuis maintenant vingt ans, le Festival du Film Coréen à Paris (le FFCP pour les habitués) offre chaque année, entre fin octobre et début novembre, une sélection de films coréens soigneusement choisis. Véritable passerelle entre la création sud-coréenne et le public français, le festival met en lumière la diversité du cinéma coréen, des œuvres d’auteur aux grandes productions, et accueille régulièrement équipes, réalisateurs et acteurs venus présenter leurs films en exclusivité.
