Interview réalisée par Marie-Line El Haddad

Invitée de la section Portrait au Festival du Film Coréen à Paris 2025, Yang Juyeon transforme le quotidien et les souvenirs en récits qui questionnent notre rapport à la mémoire et à la société.

Présentée dans la section « Portrait » du Festival du Film Coréen à Paris 2025, qui met en lumière de jeunes réalisateurs et réalisatrices à travers leurs premiers longs métrages et leurs courts, Yang Juyeon a dévoilé un ensemble représentatif de son approche documentaire. Aux côtés de son premier long métrage My Missing Aunt, elle a présenté trois courts films, Song of TomorrowThe Trail of Grandma’s Home et 40. Ses œuvres, toutes nourries par des récits personnels ancrés dans des réalités sociales plus larges, interrogent avec finesse les mémoires familiales, les silences collectifs et la part invisible de nos histoires.

Marie-Line El Haddad : Vous avez commencé très jeune à explorer des récits personnels à travers le documentaire, notamment avec Song of Tomorrow ou The Trail of Grandma’s Home. Qu’est-ce qui vous a conduite vers cette forme de narration intime et introspective ?

Yang Juyeon : Quand je crée un film, je n’aime pas traiter de sujets trop éloignés de moi. Le quotidien est vraiment le mot clé de mon travail. Je pars de ce que je vis, des situations ou des questions qui apparaissent dans ma vie de tous les jours. À partir de là, l’histoire grandit peu à peu. Mes précédents films aussi sont nés d’événements autour de moi et de la question de savoir ce que je pouvais en faire à travers le cinéma. Je voulais montrer que les grands sujets ne sont jamais distants. Ils existent dans notre entourage, dans ce qui nous paraît ordinaire mais qui porte déjà les enjeux du monde.

La réalisatrice Yang Juyeon au Festival du Film Coréen à Paris 2025 © FFCP 2025

MLEH : La mémoire familiale semble être un fil conducteur dans vos œuvres. Comment choisissez-vous les histoires que vous décidez de documenter ? Y a-t-il un moment où un souvenir devient un film ?

Yang Juyeon : Il n’y a pas de règle fixe. Parfois l’histoire naît d’un souvenir, parfois d’un moment précis ou inattendu. Pour My Missing Aunt, tout est parti d’une conversation avec mon père au sujet de ma tante. C’était un hasard complet. Mais cela a réveillé d’autres souvenirs enfouis et ces éléments se sont mêlés de façon organique.

Mes films naissent toujours de la rencontre entre ce qui se passe autour de moi et ce qui resurgit en moi.

MLEH : Dans Song of Tomorrow, des femmes de ménage réclament le recul de l’âge de la retraite à soixante-dix ans, ce qui a étonné le public français. Comment percevez-vous cette différence et qu’avez-vous voulu montrer ?

Yang Juyeon : Cette scène reflète simplement la réalité coréenne. Ce qui m’a étonnée, c’est la surprise du public français. En Corée, la pension de retraite est trop faible pour permettre de vivre. Les personnes âgées ne peuvent pas s’appuyer sur leur pension et il n’existe pas de consensus social autour d’une augmentation. Elles doivent donc continuer à travailler pour survivre. Cette scène expose la précarité économique mais aussi le manque de débat autour du vieillissement et du système de retraite.

MLEH : Dans My Missing Aunt, vous interrogez une absence familiale et le silence collectif autour de blessures de l’histoire coréenne, notamment celles touchant aux femmes. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre votre histoire personnelle et une responsabilité de témoigner plus largement ?

Yang Juyeon : Au départ, je me concentrais uniquement sur l’histoire de ma tante. Je voulais comprendre qui elle était et ce qu’il s’était passé. Pendant la production, cette quête intime est restée centrale. Mais au fil du temps, j’ai rencontré d’autres femmes dont les histoires résonnaient avec la sienne. J’ai compris que son cas n’était pas isolé, mais lié à des phénomènes plus vastes : violences conjugales, féminicides, anonymat imposé aux victimes, silences transmis d’une génération à l’autre. Ce sont des faits de société des années 1970 qui restent sous-exposés, mais qui résonnent encore aujourd’hui. En cherchant ma tante, j’ai rencontré une histoire collective qui devait aussi être révélée.

La réalisatrice Yang Juyeon lors d’un Q&A organisé par le FFCP © FFCP 2025

MLEH : My Missing Aunt a touché un large public en Corée comme à l’étranger. Selon vous, qu’est-ce qui rend une histoire aussi intime universelle ?

Yang Juyeon : Je crois que toutes les histoires sont profondément personnelles. Elles reflètent le point de vue, le monde intérieur et la manière de penser d’une personne. C’est ce qui leur permet ensuite de devenir universelles. Dans My Missing Aunt, l’histoire est très intime, mais les thèmes qui surgissent parlent à beaucoup de gens. Pendant la création, mon équipe et moi avons longuement discuté, débattu, ajusté le film. Ce travail collectif a transformé un récit familial en une histoire capable d’être partagée.

MLEH : Pour conclure, si vous deviez résumer en une phrase ce que vous cherchez à préserver à travers le cinéma documentaire, que diriez-vous ?

Yang Juyeon : Pour moi, le documentaire est comme un voyage à l’étranger. Il permet d’entrer dans un monde que l’on ne connaît pas, de découvrir une culture ou une réalité que l’on n’a jamais vécues. En ce sens, il élargit notre vision du monde. C’est cette expansion du regard que je veux préserver.

Un grand merci aux équipes du FFCP et en particulier à Cédric Callier pour l’organisation de cette interview!

Depuis maintenant vingt ans, le Festival du Film Coréen à Paris (le FFCP pour les habitués) offre chaque année, entre fin octobre et début novembre, une sélection de films coréens soigneusement choisis. Véritable passerelle entre la création sud-coréenne et le public français, le festival met en lumière la diversité du cinéma coréen, des œuvres d’auteur aux grandes productions, et accueille régulièrement équipes, réalisateurs et acteurs venus présenter leurs films en exclusivité.

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Posted by:Marie-Line El Haddad

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