Article par Marie-Line El Haddad
Pour sa 20ᵉ édition, le Festival du Film Coréen à Paris a une nouvelle fois donné à voir toute la richesse du cinéma sud-coréen, capable de naviguer avec la même justesse entre fresques historiques, récits intimes, thrillers nerveux, animation singulière et documentaires engagés. Installé au Publicis Cinémas sur les Champs-Élysées depuis 2013, le FFCP s’est imposé au fil des années comme un rendez-vous incontournable du paysage culturel parisien, porté notamment par le regard de son chef programmateur David Tredler.
Fondé en 2006 sous le nom de Festival Franco-Coréen du Film, l’événement a accompagné plus de 500 longs métrageset 1 000 courts, révélant de nouvelles voix tout en accueillant des cinéastes confirmés. Cette histoire, faite de passion et de continuité, a été rappelée lors de la cérémonie d’ouverture par Pil Yong-Jae, l’un des fondateurs du festival, venu partager quelques mots sur la naissance du FFCP et le chemin parcouru depuis.
Devenu aujourd’hui un festival à la fois mature et ouvert, le FFCP s’inscrit dans une histoire plus large de la présence du cinéma coréen en France, amorcée il y a déjà trente ans au Centre Pompidou. Portée par un public toujours plus curieux et par des échanges nourris entre artistes et spectateurs, cette édition anniversaire a offert un panorama dense et cohérent d’un cinéma coréen en constante réinvention.

My Daughter is a Zombie de Pil Gam-Sung (Film d’ouverture)
Film d’ouverture du FFCP 2025 et grand succès du box-office coréen cette année, My Daughter is a Zombie de Pil Gam-seong revisite le genre zombie à travers un prisme résolument intime. Adapté d’un webtoon populaire, le film suit un père prêt à tout pour protéger sa fille infectée, transformant l’apocalypse en récit profondément humain sur l’amour filial. Conçu pendant la période Covid, le long métrage assume une volonté de réconfort, mêlant humour, tendresse et émotion, loin des codes habituels du film de genre. Une ouverture fédératrice, à la fois accessible et sincère, qui a donné le ton de cette édition anniversaire, une vision que le réalisateur a développée avec sensibilité lors de notre entretien.

3670 de Park Joonho (Section Paysage)
Premier long métrage d’un réalisateur déjà passé par le FFCP avec ses courts, 3670 raconte le parcours d’un réfugié nord-coréen homosexuel tentant de s’intégrer à Séoul. Entre déracinement, solitude et quête d’identité, le film explore les fractures invisibles laissées par la division des deux Corées, mais aussi celles qui traversent les individus marginalisés. Portée par une mise en scène retenue et une grande délicatesse émotionnelle, cette œuvre sensible a profondément touché le public, au point de remporter le Prix du Public 2025.

Fragment de Kim Sung-yoon (Section Paysage)
Avec Fragment, le festival dévoile un premier long métrage intense, à la frontière du drame psychologique et du thriller. Jun-gang et Gi-su voient leurs existences irréversiblement liées par un événement tragique qui les dépasse. Le film interroge frontalement la notion de victime, la responsabilité individuelle et la manière dont un traumatisme peut redéfinir une vie entière. Rugueux, volontairement inconfortable, Fragment a divisé public et équipe du festival, signe d’un film qui refuse les réponses simples.

The Burglars de Kim Tae-hwi (Section Paysage)
Rare proposition dans le cinéma coréen contemporain, The Burglars place des personnages seniors au centre de son récit. À travers une aventure inattendue, le film observe avec tendresse et mélancolie l’amitié, la solitude et la possibilité de se réinventer tardivement. En laissant certaines questions en suspens, il privilégie l’émotion à la résolution, offrant un regard profondément humain sur des figures trop souvent invisibilisées à l’écran.

Summer’s Camera de Divine Sung (Section Paysage)
Dans Summer’s Camera, Divine Sung signe un premier long métrage d’une grande douceur. Summer, adolescente introvertie, découvre le monde à travers l’appareil photo argentique laissé par son père disparu. La photographie devient un refuge, un moyen de capter la lumière, les souvenirs et les émotions naissantes.
Le film aborde avec délicatesse le deuil, l’amitié, l’éveil queer et la transmission intergénérationnelle, dans un univers volontairement intemporel, presque dépourvu de technologies modernes. Une sensibilité et une précision symbolique que la réalisatrice a développées avec beaucoup de finesse lors de notre échange.

Omniscient Reader: The Prophecy de Kim Byung-woo (Section Évènements)
Adapté d’un webroman extrêmement populaire, Omniscient Reader: The Prophecy propose un dispositif narratif vertigineux : un homme ordinaire devient le seul à connaître la fin d’un récit apocalyptique qui se matérialise soudainement dans le monde réel. Entre action spectaculaire et réflexion sur le destin, le film interroge le pouvoir des histoires, la responsabilité de celui qui sait et la frontière trouble entre lecteur et acteur de son propre récit.

The Square de Kim Bo-Sol (Section Paysage)
Seul film d’animation sélectionné cette année dans la section Paysage, The Square s’impose comme une œuvre contemplative et profondément singulière. Kim Bo-sol y explore le quotidien de Borg, un homme solitaire évoluant dans une Pyongyang silencieuse et sous surveillance constante.
Inspiré par un témoignage réel et nourri d’un important travail de recherche visuelle, le film transforme ses contraintes budgétaires en choix esthétiques forts, donnant naissance à un univers épuré, presque suspendu. Une réflexion sur la solitude, la peur et la liberté intérieure que le réalisateur a abordée avec une grande lucidité face à nous.

Yadang : The Snitch de Hwang Byeong-gug (Section Évènements)
Ancré dans la réalité sud-coréenne contemporaine, Yadang : The Snitch explore le milieu de la drogue et les rouages d’un système judiciaire traversé de contradictions. À travers des personnages ambigus (trafiquants, procureurs, policiers), le film dresse un portrait sans manichéisme d’un monde où chacun agit selon ses intérêts.
Nourri par une immersion longue et documentée, le récit mêle tension dramatique et réalisme cru. Une vision du thriller que Hwang Byeong-guk a détaillée avec précision, revenant notamment sur sa volonté de traiter un sujet lourd sans jamais perdre le rythme.

Courts-métrages de Yang Juyeon (Section Portrait)
Présentés dans la section Portrait, les courts métrages de Yang Juyeon (Song of Tomorrow, The Trail of Grandma’s Home et 40) dessinent les contours d’un cinéma documentaire profondément ancré dans le quotidien. À travers ces œuvres, la réalisatrice explore mémoire familiale, conditions sociales et voix marginalisées, posant les bases thématiques d’un travail intime et engagé.
My Missing Aunt de Yang Juyeon (Section Portrait)
Premier long métrage documentaire de Yang Juyeon, My Missing Aunt part de la disparition de sa tante pour révéler une histoire collective plus vaste. En enquêtant sur cette absence, la réalisatrice met au jour les silences familiaux, les violences faites aux femmes et les angles morts de l’histoire sociale coréenne des années 1970. Produit sur plusieurs années et entouré de proches, le film mêle pudeur et engagement, une démarche que Yang Juyeon a approfondie avec justesse lors de notre rencontre.

Harbin de Woo Min-Ho, podium par Lee Yong-Su (Section Avant-Première)
Avec Harbin, le festival propose une fresque historique ambitieuse retraçant les luttes pour l’indépendance coréenne au début du XXᵉ siècle. Entre drame politique et récit d’espionnage, le film s’attache à la complexité morale de ses personnages, loin de toute glorification simpliste.
Tourné dans plusieurs pays et privilégiant les décors réels aux effets numériques, Harbin revendique une approche authentique de l’Histoire, une ambition que son producteur Lee Yong-su a évoquée en revenant sur les enjeux artistiques et symboliques du projet.

Miracle: Letters to the President de Lee Jang-Hoon (Section Spéciale 20 ans, Prix du Public 2022)
Inspiré de faits réels, Miracle: Letters to the President suit le parcours d’un jeune homme issu d’un village isolé, doté d’un talent exceptionnel pour les mathématiques, qui entreprend d’écrire au président pour faire entendre la voix de sa communauté. Porté par PARK Jung-Min et LIM Yoona (SNSD/Girls’ Generation), le film conjugue drame humain et chronique sociale, explorant la persévérance, la foi dans l’éducation et la capacité d’un individu à infléchir un destin collectif.

Pretty Crazy de Lee Sang-geun (Section Évènements)
Présenté dans la section Événements, Pretty Crazy mêle comédie romantique et éléments fantastiques. Porté par LIM Yoona et Ahn Bo-hyun, le film joue avec les codes du genre pour proposer un divertissement léger et coloré, tout en abordant les thèmes de l’amour, de l’identité et de l’acceptation de soi.

Hi-Five de Kang Hyoung-Chul (Section Évènements)
Hi-Five s’inscrit dans la tradition du cinéma populaire coréen, combinant humour, action et dynamique de groupe. Le film suit des personnages aux capacités particulières contraints d’apprendre à coopérer, offrant un récit rythmé et généreux, pensé avant tout comme un plaisir de spectateur.

The Ugly de Yeon Sang-ho (Film de clôture)
Présenté en avant-première après une première mondiale remarquée à Toronto, The Ugly marque le retour du réalisateur de Dernier Train pour Busan. Entre drame et thriller, le film s’attache aux parts les plus troubles de l’être humain et confirme l’ambition internationale de son auteur, avant une sortie française prévue en mars 2026.
Au fil des projections, le FFCP 2025 s’est affirmé comme un espace de curiosité et d’écoute, où chaque film proposait une manière singulière d’habiter le monde. Des récits intimes aux fresques historiques, des marges aux figures plus centrales, cette édition a rappelé que la richesse du cinéma coréen tient avant tout à sa capacité à faire coexister des regards multiples, parfois contradictoires, toujours incarnés. Une traversée dense et stimulante, qui laisse le spectateur avec des émotions durables, des questionnements ouverts et l’envie de prolonger le dialogue bien au-delà des salles obscures.
Palmarès 2025
- Prix du public (Paysage) : 3670 de Park Joon-ho
- Prix Kids : Lily and Pony de Sohn Sumin
- Prix Strangecuts : Planet Spoilia de Lee Se-hyung
- Prix étudiant : Swapped Funerals de Yang Seung-Woo
- Mentions spéciales du jury professionnel : Womb Mates de Noh Hee-jeong ; An Empty Round de Kim Jae-Min
- Prix Keystone : Empty House de Lee Yeji
- Prix Kia Animation : Passing By de Kang Hanna
- Prix Flyasiana : On the Crosswalk de Lee Ji-hyang
